Le management du beau gosse en bibliothèque

Dans les bibliothèques, je ne sais pas pourquoi, on se creuse toujours le ciboulot pour faire venir davantage de public. « Dynamiser la fréquentation », comme se plaisent à nous le seriner nos supérieurs hiérarchiques, en nous glissant parfois une allusion interlope au fameux taux de pénétration. Et à cause de ça, on s’empêtre dans plein de trucs sophistiqués :

  • On crée une page Facebook, pour faire croire qu’on n’est pas uniquement des bibliothécaires mais aussi une bande de potes qui glande sur Internet comme tout un chacun (sauf que nous, on est plus malin, on est payé par la collectivité pour ça),
  • On passe un marché avec Xo Editions et Michel Lafon pour en faire nos fournisseurs principaux de livres et ainsi ramener dans notre escarcelle la ménagère de moins de 50 ans,
  • On monte une équipe-projet pour déterminer la couleur des poufs la plus propice à créer l’addiction chez les enfants, et si ça suffit pas, on achètera une bombe olfactive qui sent le pain chaud afin d’attirer les gamins,
  • On organise des tournois de Mario Kart avec un collègue qui se déguise en banane pour faire l’animation (pardon, la « médiation culturelle »),
  • On fabrique des flyers sous Word 1997, avec des couleurs primales et un slogan écrit en police comic qui n’a lui-même rien de comique, malgré une farouche volonté d’utiliser des mots de jeunes (et si possible de jeunes de banlieue), qu’on aura appris grâce aux Guignols de l’info,

Arrêtons de nous compliquer la vie, nom d’un chien. Si on regarde les choses plus simplement, que faut-il pour amener du monde à la bibliothèque ? Et bien, il faut des bibliothécaires bien gaulé(e)s, c’est tout. On embauche 2-3 belles gueules et on les met tout le temps au prêt. Là, crois moi que les gens vont rappliquer.

~~ Hors du temps (2008)

Bah oui, pourquoi tu crois que Strauss-Kahn descend toujours au même hôtel à Lille ? Et pourquoi moi, je vais tout le temps à la même boulangerie, alors que la baguette y est aussi dure que la pièce d’un euro que je donne en échange? Pour la crémière, pardi ! Une jolie nana ça compte, et même si elle est mal aimable, ça fait un peu chienne, j’adore. Sérieusement, tu t’es jamais demandé pourquoi à l’inverse tu claquais toujours ta porte au nez des témoins de Jéhovah ? Ne cherchons pas midi à quatorze heures, c’est juste parce qu’ils sont moches. C’est même affolant à quel point ils sont mal faits de leurs personnes les témoins de Jéhovah. On dirait que leur directeur marketing c’est Patrick Dils. Sincèrement, s’ils embauchaient des tailles mannequin, la fin du monde passerait mille fois mieux, en tout cas moi je serais prêt à en discuter.

Dans les bibliothèques c’est strictement pareil. Pourquoi il n’y a jamais un péquin à la bibliothèque le mardi de 16h à 18h ? Tout bonnement parce que c’est la plage assurée par Marie-Claude et, outre que Marie-Claude a dépassé le quintal, elle a même pas la politesse d’être une grosse joviale : elle tire tout le temps une tête de six pieds de long, comme si elle venait de se faire jeter par le Père Dodu ou qu’elle avait appris que Bigard, pas l’humoriste mais le boucher, venait de décéder. Comment veux-tu que dans ces conditions les ados ou les actifs, qui ont déjà une journée de travail dans les pattes, prennent plaisir à se rendre à la bibliothèque ?

Là où on a tout compris, c’est à la bibliothèque Newberry à Chicago : ils ont embauché Eric Bana, un des acteurs les plus en vue du moment.  Le beau gosse par excellence. Super choix ? Attention, il faut quand même veiller au grain car la beauté peut aussi cacher quelques tares…

La première, c’est évidemment l’immodestie : le beau gosse connaît généralement son pouvoir de séduction et traîne volontiers un petit complexe de supériorité. Ainsi, quand on demande à Eric Bana d’aller chercher un livre en réserve, il prend vraiment tout son temps. Trois heures plus tard, il apporte enfin à l’usager les livres qu’il a demandés, mais il faut voir avec quelle insolence :

Le lecteur : — Et bien, ça vous a pris longtemps ! (…) Le beau gosse, impassible : — Vous n’avez pas idée…

Pas très sympa, mais c’est un peu le prix à payer quand on gère un agent d’une qualité esthétique irréprochable. Après, il suffit d’avoir un management légèrement adapté, ce que les Américains appellent le JLC (Jupiter’s leg coaching) : pour résumer, ça consiste à rabaisser intellectuellement l’employé, en l’interrogeant sur des choses extrêmement difficiles sur lesquelles on est sûr qu’il ne saura pas répondre. Par exemple, à la cantine, tu l’interpelles devant tous les collègues en lui demandant quel était le jouet favori de William Faulkner jusqu’à ses 13 ans. Et comme il va te répondre qu’il en sait rien, tu le débines bruyamment avec un collègue que t’auras mis dans la confidence, en alléguant que pourtant tout le monde sait que Faulkner jouait à la poupée, et que même Patrick Sébastien a fait un article dessus dans la Quinzaine littéraire. Bref, de quoi faire redescendre ce m’as-tu-vu sur le plancher des vaches et lui montrer que la beauté ne fait pas tout.

Au-delà d’une certaine suffisance, les jolis-coeurs peuvent présenter des vices bien plus lourds à gérer. A ce titre, Eric Bana est presque un cas d’école, car s’il subjugue les usagers et suscite leur désir, c’est aussi une vraie pomme pourrie pour l’organisation interne de la bibliothèque :

  • Mythomane : quand on lui demande pourquoi ça fait 3 heures qu’on l’a pas vu, il raconte qu’il est tombé dans une faille spatio-temporelle entre deux travées de la réserve. Hum. Comme par hasard, comme dans le film Jumper. Qui croira ça ? Je veux dire, même si ton supérieur hiérarchique est un trentenaire ravagé qui a une image de la princesse Leïa en fond d’écran sur son computer, faut pas rêver.
  • Exhibitionniste : en fait, quand on se demande où est Eric , il est en général tout nu quelque part, en train de chercher des nouvelles sensations. C’est un malade. On a tous des collègues de boulot un peu obsédés : le mec qui monopolise pendant une demi-heure les cabinets et quand il ressort c’est bizarre parce qu’il a un sourire jusqu’aux oreilles mais ça sent aucunement le caca. Bana, c’est le cran au-dessus : dans ses temps de pause, il s’habille parfois en Boney M et va chercher la baston avec des gars dans la rue. N’importe quoi.
  • Asocial : une nana essaye de le brancher lors d’une soirée où il a été traîné chez un ami. La fille le trouve un peu taciturne et demande à son ami comment ça se fait. L’autre lui répond :  « Oui, il parle pas beaucoup. Nous-mêmes, la seule chose qu’on sait à peu près de lui, c’est qu’il est bibliothécaire« … Et le 24 décembre, ce no-life passe le réveillon tout seul devant des oeufs au bacon au fast-food du coin.
Plus loin, on apprendra que ce bibliothécaire est en outre alcoolique, voleur, et ce qui est peut-être plus grave, pédophile, puisqu’il va vivre une histoire d’amour avec une fille qui n’a que 6 ans quand il la rencontre. Honnêtement, ce Eric Bana est un très mauvais recrutement. On est à mille lieues de l’homme intègre rencontré dans Troie ou Munich.
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Hors du temps est la traduction assez libre de The time’s traveler wife, qui est au départ le titre d’un roman d’Audrey Niffenegger, une consoeur américaine de Marc Lévy. Notons qu’en français, le roman n’a pas été traduit par « Hors du temps » mais par « Le temps n’est rien ». Admirez la subtilité. Que dire d’autre sur ce film ? Bon, c’est vrai qu’Eric Bana est un beau gosse et un exécrable bibliothécaire, quoiqu’il interprète très bien ce personnage saturnien en quête d’un ailleurs. Le scénario lui-même est très séduisant ; mais en vérité, j’ai trouvé que passé la première heure, il devenait trop tortueux et je n’ai plus rien compris à ces va-et-vient temporels : à chaque plan on se pose cinquante questions comme dans Inception, ça m’a éreinté. Pour des ados qui ont encore tous leurs neurones, ça pourra peut-être faire un bon film en revanche. La musique et la photo sont par ailleurs très léchées.

Vous pouvez empruntez le DVD de Hors du temps à la médiathèque municipale de la Filature, à Mulhouse, qui est la ville d’origine d’une autre représentante du monde jeune et joli : notre miss France 2012, alias Delphine Wespiser

14 réflexions sur “Le management du beau gosse en bibliothèque

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  2. Merci Keidel, pour cette référence qui me remet le doute… Car j’ai revu en diagonale ce film de Leconte il y a quelques mois, croyant me souvenir qu’il y était question de bibliothécaire, mais je ne l’ai pas retenu… et j’ai oublié pourquoi. Je crois que c’est parce que le monde des bibliothèques n’est évoqué que dans les dialogues et pas visuellement (or pour les besoins de ce site, j’ai besoin d’images)… Mais je n’en suis plus si sûr maintenant. Si vous avez des précisions dans la mesure où votre mémoire serait moins défaillante que la mienne, sinon je ferais une nouvelle vérification.

    Salutations,
    Mp

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  3. Bonjour,
    Le film de Patrice Leconte « confidences trop intimes » contient deux courtes scènes avec Anne Brochet et Fabrice Luchini où il est question du métier excercé par la comédienne.

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  4. J’adore aussi Bienvenue à Gattaca, mais dans mon souvenir Mediamus, il n’y a pas de scène de bibliothèque dans ce film… tout comme dans Bienvenue chez les Ch’tis, Bienvenue chez les Robinson et plein d’autres films avec le mot bienvenue, j’ai l’impression. A se demander d’ailleurs si le mot bienvenue est compatible avec le monde des bibliothèques mais ça c’est un débat dans lequel j’aime autant ne pas entrer. Merci pour cette belle citation de Victor Hugo, père de l’informatique moderne. En voici une d’un autre grand théoricien de notre temps : « Il faudra beaucoup plus d’ordina-coeurs que d’ordinateurs dans la communication de demain. » (Jacques Séguéla, poète)

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  5. « Bienvenue à Gattaca » est un film intéressant sur l’importance accordée à l’image, et les nouveaux modes de recrutement en entreprise. « La forme c’est le fond qui remonte a la surface » comme disait Victor Hugo, à moins que ce ne soit Steve Jobs…

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  6. Vous exagérez, Sophie Bib, on n’est pas au cirque pour mettre des nez rouges. Je trouve que vous avez une vision peu respectueuse du métier de bibliothécaire, c’est dommage. Personnellement, je parlais plutôt de mettre une robe un peu pimpante avec des couleurs sympas, quelques bijoux même achetés sur le marché… et pourquoi pas un parfum à la vanille et un peu de maquillage aussi.

    Par-dessus-tout, y a un truc qui en plus ne coûte pas un kopeck, c’est l’humour. Je sais, c’est pas facile, surtout quand on vous a expliqué que l’humour suprême c’était le second degré. Des fois malheureusement il faut aller au-delà.

    Bien à vous, amie de la dérision.
    Mp

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  7. Désolée ça me fait pas rire et j’ai arrêté ma lecture à « en plus d’être grosse elle est même pas joviale » ! Obligatoirement si tu es grosse faut que tu mettes un (gros) nez rouge et que tu fasses le pître pour faire oublier que t’es grosse ! ‘tain de clichés Attention en pointant le cliché de la bib pas aimable d’autres sous-jacents pointent le nez et c’est pas joli-joli !

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  8. Franchement à part rameuter des poulettes qui font semblant de lire ou qui viennent jacasser en matant le « beau gosse » de la médiathèque…on a rien gagné à ce niveau là intellectuellement. De plus, on a embauché une bibr qui s’est révélée super sexy (en mode panthère et décolleté et j’en passe), ça n’a rien fait non plus, à part qu’elle reçoit des avances des usagers …fidèles ! mdrrr
    Donc ptet pour leur ego, ça fait sans doute plaisir mais est ce que cela apporte quelque chose à la médiathèque, je suis très sceptique.
    Signée : une jolie médiathécaire 🙂

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  9. La bibliothèque de l’enssib dont le personnel est entièrement composé de beaux gosses et de belles filles propose le film et le roman dans son fonds détente consacré à l’image du bibliothécaire dans la littérature et le cinéma.

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  10. Merci aux uns et aux autres pour les ovations, essayez quand même d’avoir quelque chose d’intéressant à raconter sinon ça va être vite rasoir, merci de votre considération. Je ne sais pas, prenez exemple sur Marie-Claude, elle, ça se voit qu’elle en a dans la caboche, elle a réussi à démontrer en même pas deux lignes que la fréquentation des bibliothèques n’était pas uniquement conditionnée par sa seule personne ; qui l’eût cru ?

    Ceci dit, Marie-Claude, demandez-vous peut-être pourquoi votre chef vous a sucré une heure de service public le mardi. Si vous continuez à renâcler à la besogne, faites attention parce que la prochaine étape risque d’être le reclassement à l’atelier de couverture, où là vous aurez tout le loisir de rouscailler devant vos rouleaux de filmolux.

    Bien d’accord avec vous, Aude, derrière la rigolade il est évident qu’un joli minois de bibliothécaire dope considérablement la fréquentation. Avant, c’était le pied, on avait les emplois-jeunes, qu’on pouvait recruter sur des critères archi libéraux (sur le physique, donc). C’était pratique. Aujourd’hui c’est plus difficile mais je veux toutefois tenir un message d’espoir : même si votre bibliothèque n’a pas d’argent pour embaucher, PENSEZ AUX STAGIAIRES. Même ceux de troisième, des fois ils sont déjà largement pubères et peuvent aisément redorer le sex-appeal de l’établissement.

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  11. D’abord le mardi, c’est de 16 à 17 seulement. Et si j’ai l’air de faire la tête c’est qu’il y a du monde…. Ce qui prouve bien qu’ils ne viennent pas pour mon physique…;-D

    Marie-Claude

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  12. L’équipe de la médiathèque de La Filature a bien ri ce jour grâce à votre audacieuse verve ! Merci pour la publicité !

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  13. Excellent comme d’habitude ! Merci pour cette tranche de rire matinale ;-).
    N’empêche, le coup de l’agent beau gosse en bibliothèque, ça fonctionne !

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