La bibliothécaire toujours raison a

Les bibliothèques, c’est vraiment un drôle de milieu professionnel. Quand tu débarques là-dedans en gros, y a pas de demi-mesure, soit tu tombes sur la vieille garde ravagée par l’universalité des collections et les rogatons d’un militantisme parti depuis longtemps en sucette, devenu l’alibi vacillant de politiques d’acquisition embourgeoisées et élitistes… Soit c’est le contraire, tu te retrouves avec des bibliothécaires nés dans les années 80, nourris au sein des mass media et restés au stade anal ; ceux-là font le reclassement matinal des livres avec leur iphone sur les esgourdes, s’avalent du web, du seinen et de l’heroic fantasy par intraveineuse toute l’année, et t’expliquent que pour être moderne, il faut monter des rayons sur les vampires et organiser des ateliers de vjing, ou mieux, des tournois de Wii-fit avec des publics empêchés moteur.

Au niveau référence culturelle, c’est facile, les premiers aiment le jazz, Ellroy, les tajines, Claude Nougaro et Le Canard enchaîné. La seconde catégorie, elle, en pince pour Radiohead et la série Dexter, la chéplucombienlogie Harry Potter et Rue89, les Bo Bun et Star wars.

Star wars. Parlons-en. Une belle et vaste fumisterie née il y a un bail de l’esprit intoxiqué de George Lucas, un californien boutonneux dont la seule idée de génie n’aura jamais été à mon avis que de nous dissimuler pendant plus de 3O ans son acné derrière une barbe de bûcheron, tandis qu’il nous bourrait le mou avec des histoires pseudo-philosophiques narrant les affres d’un avorton de chihuaha verdâtre et duveteux, qui cause à l’envers comme une grammaire allemande et tente nonobstant d’enseigner les rudiments d’un kung-fu androgyne à une bande de gugusses en robe de chambre…

Quand j’avais 10 ans, on s’amusait bien à jouer à Star wars dans la cour de récré, c’était mignon. Maintenant je fréquente des amis bibliothécaires qui semblent bien assis dans la société mais à tout moment ça dérape. Par exemple, quand tu prends le bus et que le cellulaire de ton pote sonne, ce corniaud a personnalisé sa sonnerie avec le thème principal de l’attaque de l’Etoile noire et à ce moment-là dans le bus tu n’as qu’une peur, c’est qu’on te prenne pour le petit ami de cet imbécile… Ou alors quand tu te rends chez ces amis-là. Ordinairement, il n’y a évidemment à boire que du coca ou alors des apéros bizarres à base de jus de cactus, et quand enfin un jour on daigne t’offrir à siroter une boisson produite à partir de moût de raisin, ils croient te sortir le grand jeu en te servant la dive bouteille le cul dans un seau à glace en forme de casque de Dark Vador. Toi, tu t’apprêtes à t’extirper de ce bourbier, et là, on t’envoie cette boulardise à la volée : « Mais au fait Julien, j’ai pensé pour ton blogue, il y a une scène de bibliothèque dans l’épisode 2 de L’attaque des clones, tu ne voudrais pas y consacrer un prochain billet ?». Alors il arrive ce qui arrive, on fait comme si on n’entendait pas, et puis au bout d’un moment, comme on a envie de garder un minimum de vie sociale, bah on cède. C’est ce qu’on appelle le côté clair de la faiblesse.

~~ Star wars : l’attaque des clones (2002)

Si vous en êtes d’accord, on va passer rapidement sur le scénario du film, qui brasse dans un festival de mauvais goût :

  • un condensé hâtif des cours d’histoire romaine de 6ème (la République est menacée, les Sénateurs sont des falots, mais que fait la garde prétorienne, etc etc),
  • les pires moments des Feux de l’Amour (je suis ton fils, moi ton père adoptif, viens ma soeur allons nous marier, impossible Obiwan n’a pas été invité à la noce…)
  • des costumes et des effets spéciaux pathétiques : ils se battent tous là-dedans avec des épées en forme de bâtons de Mister Freeze, les robots font penser à des suppositoires, Ewan McGregor campe un ersatz du Richard Chamberlain version Les oiseaux se cachent pour mourir qui à la place de la soutane aurait passé un peignoir de bure… Bref.

Il y a un moment dans le film où on a un petit espoir, c’est lorsque Ewan Kenobi se rend compte de l’abrutissement dans lequel le scénario le cantonne et qu’il décide, pour s’émanciper un peu, de se rendre à la bibliothèque intergalactique. Pour les néophytes, la bibliothèque intergalactique, c’est un peu la bibliothèque intercommunale de demain. D’immenses espaces de libre accès, des postes informatiques partout et des collections numériques en veux-tu en voilà, le tout servi par un personnel réduit à peau de chagrin, genre un ou deux retraités qui s’ennuyaient chez eux devant Michel Drucker, et qui ont l’avantage de ne pas coûter une rondelle à la République. Le fin du fin en matière de gestion du denier public.

La bibliothèque de demain : 720000 Blu-ray en libre-accès mais pas un seul livre en rayon. Il y aurait comme un petit parti pris dans la politique documentaire…

… que l’on comprend mieux en découvrant un des bustes qui trônent dans la salle de lecture : celui qui représente un des actionnaires principaux de la bibliothèque, à savoir George Lucas, le fameux réalisateur de films.

…….

La vieille bibliothécaire qui accueille Ewan Cénobite est l’archétype de la bénévole à côté de la plaque. Encore sans doute une de ces institutrices retraitées qui n’a jamais eu d’enfants et qui malgré son âge avancé, ressent encore le besoin de manger la tête des gens. A noter qu’on a beau être dans le futur, c’est quand même toujours une bibliothécaire à chignon. La seule différence, vu qu’on est dans un film de SF, c’est que la dame a des baguettes de geïsha dans la tignasse… Banal : depuis Blade runner en effet, le cinéma nous sert régulièrement une esthétique vaguement asiatique dès qu’il veut représenter la société du futur. Comme si l’avenir devait forcément être chinois ou asiatique : le cauchemar des types comme Arnaud de Montebourg.

Des geïshas, notre bibliothécaire du 3ème âge a principalement repris le fonds de teint épais comme les enduits de Valérie Damidon, et l’horrible tunique, dont les motifs représentent ici… une carte-mère d’Atari 520 ST. C’est revival, c’est old school en diable, mais ça ne prend pas. Il faut dire que cette bibliothécaire est chiante comme une pluie de météorites et qu’en plus d’être aussi affriandante qu’un shar-pei mort depuis 15 jours , elle se montre plus revêche qu’un poil de Choubaka. En effet, cela fait une demi-heure qu’Ewan Kenobi galère sous son nez à essayer de naviguer sur l’OPAC , et quand elle prête enfin attention à ses signaux de détresse :

–Vous avez sollicité mon aide ? –Oui, volontiers. –Auriez-vous un problème ?

Ça semble sympa mais c’est surtout agressif. Ewan s’y risque toutefois :

–Je recherche un système planétaire du nom de Kamini Elle : –Gmmpf, c’est un nom qui ne me dit absolument rien (Pourtant, Marly Gomont tout ça, ça ne t’évoque pas quelque chose ?) … Vous êtes certain d’avoir rentré les bonnes coordonnées ? »

La vache, tout de suite la suspicion. Comme si ça ne suffisait pas, la bibliothécaire écarte sèchement Ewan et se penche sur l’OPAC, tapote d’un air entendu sur le clavier pour faire sa pro, puis lui envoie ce vieux coup de Jarnac :

« Hélas, j’ai l’impression que le système planétaire que vous recherchez n’existe tout simplement pas ».

Animé par la pugnacité du Jedi, Ewan est résolu à tenir front à l’irascible bibliothécaire : « Non, c’est impossible… Votre base de données doit être incomplète » . Pas contente, l’ancienne se ferme comme une huître : « Humpf, si un système n’est pas référencé dans notre base, c’est qu’il n’a jamais existé » . Puis, pour clore un débat qui risquerait de se finir avec un coup de sabre laser dans le poitrail, notre bibliothécaire tourne dare-dare les talons. Ewan se repenche sur son OPAC et se gratouille la barbichette en méditant à la déprofessionnalisation du métier, tandis que la vieille bénévole jette son dévolu sur un minot de 7 ans venu pour un exposé, et qu’elle aura sans doute plus de facilité à bluffer.

Si on enlève les décors qui bousillent les yeux et les dialogues écrits à la machette, cette scène de Star wars n’est finalement que le conte ordinaire de la bibliothèque publique : d’un côté, un professionnel gardien du temple qui se croit propriétaire de son établissement, et de l’autre, un usager éconduit qui se vexe parce qu’en réalité il n’est pas fichu de maîtriser la recherche catalogue. Deux portraits de loosers magnifiquement dressés qui valent toutes les formations Mediadix sur l’accueil en bibliothèque, lesquelles durent trois jours et t’apprennent strictement la même chose : le chignon ça stresse tout le monde, les OPAC ça sert à rien, et enfin, il faut arrêter de se prendre pour des experts, on n’est que des généralistes. Pour le reste, je vous déconseille bien entendu ce film, de toute façon vous l’avez probablement déjà vu ou pire, comme moi acheté.

14 réflexions sur “La bibliothécaire toujours raison a

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  2. Simone et Bernadette, nous allons arrêter cette conversation si vous le voulez bien.

    Cher Fabien, merci pour ces hyperliens. J’avoue être un peu étourdi et déçu aussi de constater que mon pseudonyme est porté ailleurs de par le monde, surtout par des êtres mal proportionnés et enclins à la régurgitation chronique. J’étais si content du titre de ce blogue alala.

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  4. Oups, nous n’étions pas connectées.
    Un pseudo, mais pour quoi faire, que diable ?
    Nous avouons avoir manqué d’imagination en nous contentant d’un simple acéner.
    Il faut dire que nous n’avons guère l’occasion d’asséner des répliques aussi définitives ne portant guère le chignon et pas très souvent des lunettes.
    Pouquoi siamoises, pour faire le prêt et le retour en même temps : auriez-vous oublié que les femmes sont nativement multi-tâches, bien avant nos modernes logiciels.
    La preuve c’est qu’elles peuvent faire chhhutttt en ayant leurs lunettes sur le nez et leur chignon d’aplomb, c’est pas une preuve scientifique, ça ?

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  6. Oui pardon Chachattt (j’ajoute arbitrairement des voyelles pour la lisibilité), j’ai oublié de mentionner que la vieille garde impériale des bibliothèques conservait aussi généralement dans son grenier un abonnement en parfait état du magazine Pilote de 1965 à 1966. Autant pour moi.

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  7. Rhââââ… lovely… (dit la vieille garde, avec lunettes mais sans chignon… du moins jusque là, les baguettes me tentent bien…)

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  9. … Bah, je ne sais pas, sûrement un administrateur pas très à cheval sur l’orthographe a priori. Je plaisante Simone, mais faites quand même un peu gaffe, ma prof de français de seconde lit mon blogue donc merci de faire un effort : « asséner » et non « acéner ». Je plaisante, je crois que j’aime bien vous taquiner en fait, ça doit être à cause de votre pseudonyme, j’ai l’impression que vous avez une soeur siamoise ou un truc comme ça et je me dis que ça doit bien dépoter, des siamoises bibliothécaires, vous devez pouvoir gérer le prêt et le retour en même temps, je suis sûr que même Thierry Giappiconi n’avait pas pensé à ça pour augmenter la productivité des bibliothèques. Par contre, pour l’entretien d’évaluation j’imagine que ça doit être plus compliqué, vous avez chacune une note ou alors c’est globalisé ?

    Bon, assez parlé de votre vie privée, je suis d’accord avec vos remarques et j’ajouterais uniquement et pour l’amour de la dispute, que je trouve au contraire très constructif que les films, la littérature et les médias brassent toujours des clichés pas possibles sur le monde des bibliothèques, car si les bibliothécaires se remettent aujourd’hui en question et essayent d’améliorer leur relation à la population, c’est bien grâce à ces représentations caricaturales récurrentes qu’ils subissent et qui les exaspèrent.

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  10. Et quel administrateur de base n’a jamais rêvé les jours de doute d’acéner cette réplique sublime d’outrecuidance : « si un système n’est pas référencé dans notre base, c’est qu’il n’a jamais existé » .Que répondre à cela ?

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  11. Bonjour,

    J’adore cette scène et le commentaire que vous en faites.Merci d’avoir exécuté le film du même coup.
    L’incongruité de ressources électroniques alignées sur des étagères me rejouit, le vide abyssale de la salle de lecture montre que les responsables (mais en y a il encore ?) n’ont probablement pas suivi la journée d’étude sur « Faut-il encore des bibliothèques dans le monde des Digital natives ? » de chez Mediadix.
    Mais quand donc dénoncera-t-on enfin l’absence de conseiller en bibliothèques sur tout les tournages de films.
    Et puis surtout il y a probablement la marque la plus importante de progrès dans cette bibliothèque aux yeux du réalisateur, qui ne doit guère fréquenter nos établissements depuis au moins la chue de l’Empire : notre archétype ne porte plus de lunettes.

    Bibliothècairement vôtre.

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