La lecture, pâture du menteur

C’est l’histoire d’un gamin de Paris, plus proche de Dickens que de Gavroche et néanmoins appelé Hugo. Orphelin et vagabond de son état, il vit à l’intérieur de la gare de Lyon et pionce clandestinement sous le toit de la Tour de l’horloge. A force d’être livré à lui-même depuis sa prime enfance, cet authentique sirop de la rue est devenu ce qu’on appelle dans la langue de Molière un petit débrouillard (comprendre : un voleur à la tire). Bon, s’il est si futé que ça en même temps, on se demande pourquoi ce mariole a choisi d’établir ses pénates sous le mécanisme horloger le plus gros –donc le plus bruyant, de la capitale. Tu n’as pas de problème pour te réveiller le matin, mais tu dois te cogner des migraines titanesques, je ne vois pas l’intérêt. Passons. Un jour, notre jeune ami rencontre Chloé, une fillette des beaux quartiers qui s’entiche de lui et se donne pour ambition d’oeuvrer à sa rédemption. Elle propose à Hugo de l’emmener « dans l’endroit le plus meeeerveilleux de la planète » et on l’aura deviné, il ne s’agit pas des urinoirs de la gare de Lyon mais plus humblement : d’une bibliothèque.

~~ Hugo Cabret (2011)

L’offre a beau être alléchante, la probité me force à vous révéler que la bibliothèque vantée par la fillette n’est pas ce qu’on appelle, au regard des canons actuels, un modèle d’ergonomie. Pour le dire plus trivialement, c’est un bazar pas possible, sorte de mélange entre :

  • les espace de vente poisseux de chez Emmaüs
  • les librairies-capharnaüms dépeintes dans les nouvelles fantastiques du 19ème siècle
  • ce que j’imagine être l’intérieur du cerveau de François Bon

Bref, un fatras qui doit bien cacher quelques merveilles, si du moins on n’a pas peur de se choper des mycoses durant les longues heures qu’on va employer à les chercher. C’est-à-dire que dans cette bibliothèque, le plan de classement est bâti sur la notion de verticalité : le livre le plus récemment acquis est posé en haut de la pile et la date d’édition des livres se repère à l’épaisseur de poussière. Quand une pile de livres devient trop haute ou trop branlante, aucun problème, on en démarre une nouvelle. Simple, efficace et plus esthétique que les colonnes de Buren.

Le bibliothécaire qui tient cet établissement admirable s’appelle monsieur Labisse et, quand vous le voyez, croyez-moi, vous n’avez pas forcément envie de lui faire une (°_°) Non, parce que déjà il porte une barbe si drue qu’elle va te perforer la joue jusqu’aux gencives, et ensuite, il faudrait un escabeau pour se hisser jusqu’au visage de ce bibliothécaire qui est juché derrière une banque d’accueil fixée à plus d’un mètre du sol, façon chaire d’église. Très pratique pour dominer son public ou pour vérifier si les gens ont les cheveux propres, mais pas formidable quand il s’agit d’attraper la carte d’un lecteur ou ses documents. On voit d’ailleurs la petite Chloé se faire une élongation du bras en tendant au père Lavisse le livre qu’elle avait emprunté.

Cette imposante banque d’accueil a du moins l’avantage de matérialiser la supériorité intellectuelle du bibliothécaire… que ce dernier n’a malheureusement pas beaucoup l’occasion d’exercer attendu qu’il passe environ une personne toutes les 3 heures, et manque de bol, quand la porte s’ouvre, ce sont deux mioches à moitié illettrés qui te posent une question hyper facile : « Pardon, le rayon photographie s’il vous-plaît? » . La sécheresse concision avec laquelle le bibliothécaire répond n’aide pas franchement les deux enfants. Vingt minutes plus tard, ils sont toujours à déambuler dans l’épaisse forêt de livres. Il faut dire qu’on est en 1920 et les rayons photo des bibliothèques ne devaient pas être bien volumineux. Du coup, pas facile de les débusquer…

En hommage à tous les lecteurs morts d’épuisement dans leur recherche documentaire, des bustes les figurant sont disposés un peu partout dans la bibliothèque. Ça paraît un brin morbide à première vue, mais ces bustes servent aussi de serre-livres et de l’extérieur cela donne l’impression qu’il y a du monde dans la boutique. C’est au poil.

D’ailleurs, il est curieux que les bibliothèques publiques ne pratiquent pas davantage ce genre de choses pour attirer les passants en leurs murs. C’est vrai, si les cafetiers exhibent leurs clients sur le trottoir autour de tables qui font 15 centimètres de circonférence, ce n’est pas pour leur agrément mais bien pour susciter l’envie du quidam qui aura constaté que l’établissement est très fréquenté. De la même façon que les salles de sport installent leurs cardio-trainers contre les vitres qui donnent sur la rue. En bibliothèque, on n’aurait sans doute pas assez de monde pour faire les figurants, mais on peut utiliser des mannequins en polymère synthétique : placés dans des poses suggestives aux abords des étagères et vêtus de tenues un peu affriolantes pour que ce soit plus efficace, ça inciterait peut-être les nations à entrer.

Revenons à nos moutons et à notre petit Cabret, si vous le voulez bien. Car sa copine Chloé, qui a initié Hugo au monde des bibliothèques, commence à avoir maille à partir avec lui. Il faut dire qu’elle est une grande lectrice et qu’elle aimerait bien causer littérature avec le garçon. Dommage, Hugo n’a pas la bosse littéraire. « Quoi, tu n’aimes pas lire ?!! » , s’étonne-t-elle avec dégoût. Le malheureux lui rétorque que son truc à lui c’est le cinéma. Et vlan, la pauvre fille lui balance maintenant qu’elle n’est jamais allée au cinéma… Voici donc rouvert le clivage séculaire, entre ceux qui lisent des romans et ceux qui regardent des films. Que faire ? Même en 2013, on n’a pas trouvé la solution. Cela fait plus de 20 ans qu’on se fatigue à intégrer des collections de VHS ou de DVD dans les bibliothèques, qu’on achète des livres sur le cinéma et des DVD documentaires sur la littérature, qu’on se secoue les miches à monter des concepts étourdissants de ciné-philo et autres passerelles pas croyables pour réconcilier les deux publics, il n’y a rien à faire : les cinéphiles et les férus de lecture, invariablement, ne se mélangent pas.

Etonnamment, la sortie de crise va venir du vieux bibliothécaire Labisse. Il explique aux deux enfants qu’il existe à Paris une bibliothèque consacrée au cinéma qu’il les invite à aller découvrir : la bien-nommée Bibliothèque de l’Académie du cinéma. On se dit génial, voilà qui va satisfaire à la fois la fillette dingue de livres et le garçon passionné de cinéma… Sauf que tout ça c’est sur le papier, Gautier. En effet, une fois que les deux gosses arrivent dans cette fameuse bibliothèque, on s’aperçoit que le père Labisse leur a monté un gros boniment et qu’en fait de « bibliothèque d’académie du cinéma », il s’agit ni plus ni moins de l’illustre bibliothèque Sainte-Geneviève, laquelle comme chacun le sait n’est aucunement consacrée au cinéma et n’a même pas de fonds spécialisé sur ce sujet… Ce pince-sans-rire de Labisse s’est bien fichu des deux marmots.

Bon, si on admettra que la sournoiserie de notre bibliothécaire lui a habilement servi à éloigner de sa propre bibliothèque les deux importuns qui la squattaient, il n’en demeure pas moins que mentir à des enfants est un acte désolant et que ce salopard a déshonoré la profession. Je voudrais par conséquent vous proposer de boycotter à la fois Christopher Lee (l’acteur qui incarne le bibliothécaire Labisse) –ou bien sa descendance s’il est déjà mort, mais aussi tout le film Hugo Cabret qui de toute façon ne ressemble à rien (ou alors à un film de Jeunet avec plus de fric), ainsi que son réalisateur Martin Scorsese qui ne ressemble plus non plus à grand-chose, ou peut-être à un vendeur de pâte dentifrice pour animaux de compagnie. OK, vous allez me dire ne t’énerve pas, il y a des sujets plus graves aujourd’hui, comme tous ces gens qui n’ont toujours pas le droit de se marier alors que leur seule particularité est d’exprimer leur amour par des voies plus étroites. C’est vrai. Mais avant de sombrer dans le relativisme le plus légitime, je voudrais vous faire remarquer que s’il devait s’avérer que le vieux Labisse fût homosexuel, alors ça voudrait dire que le film Hugo Cabret stigmatise autant le métier de bibliothécaire que la communauté gay. Et ça, c’est intolérable dans notre contexte actuel. SI VOUS VOYEZ LE DVD DE CE FILM CHEZ UN AMI OU MEME SUR L’ETAL D’UN MAGASIN, DONNEZ UN COUP DE PIED DEDANS — SI C’EST TROP HAUT REBROUSSEZ CHEMIN, ON S’EN OCCUPERA PLUS TARD —  A BIENTOT A LA MANIF.

Hugo ne trouve pas son bonheur dans le rayon humour…

… finalement, le Code civil c’est super marrant aussi !

Tu te crois moderne parce que cette année, Papa Noël t’a offert une liseuse ? Relax Max, il y a désormais beaucoup plus innovant : le livre-animé next gen’. Le principe : tu ouvres un Tintin et le capitaine Haddock en personne sort des planches pour te postillonner ses injures ringardes. Un peu gadget mais diablement rafraîchissant…

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6 réflexions sur “La lecture, pâture du menteur

  1. Petite précision pour Stormbringer, et après quelques investigations : c’est dans L’histoire sans fin 3 qu’on voit une bibliothèque et un bibliothécaire. J’ai réussi à dénicher un exemplaire du DVD et en ferai prochainement la chronique.

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  2. Merci Virginie pour votre gentillesse ainsi que Stormbringer pour vos pistes de films, et ce malgré l’usage surprenant et dégradé que vous faites des points de suspension.
    Sur les conseils d’une connaissance, je m’étais déjà procuré le DVD de L’Histoire sans fin 1 mais jusqu’alors je n’ai pas vérifié la qualité de la scène de bibliothèque. Merci donc pour cette impeccable piqûre de rappel, je vais regarder rapidement de plus près.
    Bien à vous,
    Mp

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  3. Une suggestion : Histoire sans fin (Nostalgia Critic n°132 et 181 L’ Histoire sans fin VOSTFR sur Dailymotion) avec un bibliothécaire bien « old school » qui fait de la rétention d’information,l’enf….!

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  4. Pingback: Encore un peu plus de cinéma ! | cinephiledoc

  5. Pingback: La lecture, pâture du menteur | Veille pour rire ou sourire | Scoop.it

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